Projet de loi du Conseil d’Etat – définition du terme: «financièrement neutre»
Une nouvelle définition du terme: «financièrement neutre» !
Le Conseil d’Etat a présenté la semaine dernière son nouveau projet de loi d’imposition des personnes physiques et l’a qualifié de «projet de loi financièrement neutre pour respecter les exigences du droit fédéral».
Or, il apparaît d’emblée que d’une part, ce projet de loi n’est pas financièrement neutre, et qu’il n’atteint pas son but de respecter (toutes) les exigences du droit fédéral d’autre part.
Selon le Conseil d’Etat, ce projet de loi a été élaboré autour de quatre grands axes:
- le regroupement des cinq lois actuelles en une seule LIPP (loi d’imposition des personnes physiques)
- la correction d’incompatibilité avec la loi d’harmonisation des impôts directs
- la redistribution des recettes fiscales supplémentaires qui en découlent
- le renforcement de la politique fiscale concernant les familles
Des incompatibilités avec la LHID
L’adéquation de la nouvelle loi avec les exigences du droit fédéral fera l’objet de développement lors d’une prochaine chronique, mais pour débattre de la question de redistribution des recettes fiscales supplémentaires, l’on mentionnera les quatre mesures préconisées par le Conseil d’Etat.
a) Suppression du rabais d’impôt pour rentiers AVS/AI
Le montant additionnel pour le calcul du rabais d’impôt réservé aux rentiers AVS/AI sera purement et simplement supprimé.
Selon le Conseil d’Etat, 47’000 contribuables rentiers seront touchés par cette mesure et il en résultera une augmentation des recettes fiscales de 73 millions (soit une augmentation moyenne par contribuable concerné de CHF 1’535.-).
b) Suppression de la déduction totale des primes d’assurance maladie et accident
Le contribuable verra ses primes d’assurance maladie et assurance accident ne plus être déductibles qu’à concurrence «d’un montant équivalent à la prime moyenne cantonale relative à l’assurance obligatoire des soins déterminée par l’Office fédéral de la santé publique»; il en ira de même pour les personnes à sa charge.
Selon le Conseil d’Etat, cette réduction touchera 84’000 contribuables et occasionnera des recettes fiscales supplémentaires de 38 millions (soit une augmentation moyenne de CHF 459.- par contribuable concerné).
c) Repositionnement de la déduction en cas d’activité lucrative des deux conjoints
Cette déduction – actuellement intégrée dans le système du rabais d’impôt – sera supprimée du rabais d’impôt pour être réintégrée au niveau des déductions sur le revenu avec pour effet, compte tenu de la progressivité des barèmes, d’avantager les contribuables concernés.
Selon le Conseil d’Etat, 37’500 contribuables seront touchés par cette mesure qui occasionnera une baisse d’impôt de 5,5 millions (soit une réduction de CHF 147.- par contribuable concerné).
d) Introduction d’une déduction sur certaines rentes de la prévoyance professionnelle
Il s’agit là d’une mesure visant à respecter la loi sur la prévoyance professionnelle (et non pas la loi d’harmonisation sur l’impôt direct) qui stipule que les rentes de la prévoyance professionnelle ne sauraient être imposées à 100% lorsque les rentiers n’ont pas pu déduire l’intégralité de leurs cotisations LPP.
En effet, le système LPP n’a été rendu obligatoire qu’en 1985 et les cotisations au titre de la prévoyance professionnelle ont été fiscalement pleinement déductibles qu’à partir du début 1987, raison pour laquelle les «anciens rentiers» (c’est-à-dire tous ceux qui ont bénéficié d’une rente de la LPP ayant commencé à courir avant le 1er janvier 2002 et reposant sur un rapport de prévoyance antérieur au 1er janvier 1987) doivent être mis au bénéfice d’une réduction.
Selon le Conseil d’Etat, cette mesure concernera 29’000 contribuables et induira une diminution des recettes fiscales de 23 millions (soit une réduction de CHF 787.- par contribuable concerné).
Projet financièrement neutre, que nenni !
Selon le Conseil d’Etat, les effets des hausses d’impôt sont compensés par le biais d’une baisse des barèmes.
La baisse des barèmes proposée par le Conseil d’Etat concernera 170’000 contribuables, et induira une réduction des recettes fiscales de 70 millions (soit une moyenne de CHF 414.- de réduction par personne concernée).
a) Du simple point de vue arithmétique
Si l’on se base sur les chiffres fournis par le Conseil d’Etat, il apparaît clairement que le projet de loi n’est pas neutre financièrement.
Les rectifications proposées conduisent à des entrées fiscales supplémentaires de 12,5 millions (cf. tableau)
Supression déduction AVS | +73 mio |
Limitation déduction assurance mal./acc. | +38 mio |
Total des augmentations d’impôts | +111 mio |
Déduction « anciennes » rentes LPP | -23 mio |
Déduction sur revenu couple | -5,5 mio |
Retouche des barèmes | -70 mio |
Total des réductions d’impôts | -98,5 mio |
DIFFERENCE | +12,5 mio |
b) «Je te reprends ce que je te dois»
Indépendamment du calcul mathématique défavorable aux contribuables, il convient de relever que la réintroduction d’une déduction pour rente LPP représente une correction en faveur des «anciens rentiers» qui leur est due.
En effet, c’est le respect de la loi fédérale qui oblige les cantons à ne pas taxer à 100% les rentes LPP dont le paiement a commencé avant le 1er janvier 2002.
Ce n’est donc que justice que de réduire la taxation des 23 millions proposés par le Conseil d’Etat dans son projet (sans tenir compte par ailleurs qu’au niveau fédéral le montant serait double et que depuis 2001 l’on a grugé ces contribuables d’un tel montant par année).
Il ne saurait donc être question de reprendre ce montant de 23 millions de francs en le compensant par une réduction moindre des barèmes visant à corriger les augmentations que les contribuables subiront ensuite de l’abandon de la pleine déductibilité des assurances maladie et de la déduction pour rentiers AVS.
Ainsi donc, en supprimant ces 23 millions de l’équation, ce n’est plus 12,5 millions d’entrée fiscale supplémentaire mais 35,5 millions de charges d’impôt supplémentaires que subiront l’ensemble des contribuables.
c) Du mélange des genres
Lorsque l’on mélange les genres, l’on en arrive à des situations iniques.
Tel est le cas lorsque l’on veut augmenter 47’000 contribuables rentiers AVS de 73 millions et rembourser cette augmentation d’impôt dans le cadre d’une retouche des barèmes au profit de 170’000 contribuables.
Il en est de même, en augmentant 84’000 contribuables par réduction de la déduction des assurances maladie et en compensant ce surcoût au profit de 170’000 contribuables par le biais des barèmes.
Autrement dit, force est de constater qu’un rentier AVS verra son imposition augmenter en moyenne de CHF 1’994.- (CHF 1’535.- par l’abandon de la réduction AVS et CHF 459.- par la réduction de la déductibilité des assurances maladie) qui lui sera généreusement compensée par une retouche des barèmes d’impôt, le faisant bénéficier d’une réduction de CHF 414.-; en définitive, son imposition aura donc augmenté de CHF 1’580.- !
La neutralité fiscale de ce projet n’est à l’évidence pas respectée et cela démontre qu’en maintenant des formules de barèmes d’impôt totalement incompréhensibles, même les spécialistes n’arrivent pas à les retoucher de façon satisfaisante pour aboutir à un objectif pourtant clairement défini…
Publié le 11 septembre 2006