Des dépenses fictives parfaitement déductibles !
Habituellement, au nombre des critères permettant la déductibilité d’une dépense l’on compte impérativement le fait que cette dépense ait été avérée et qu’effectivement elle ait écorné le budget du contribuable dans une année fiscale considérée pour qu’elle puisse avoir quelque chance d’être admise en réduction du revenu taxable.
Il existe, depuis peu, certains cas qui sont en contradiction avec ce grand principe.
Dans le passé, c’est-à-dire avant l’avènement de la loi d’harmonisation des impôts directs (entrée en vigueur le 1er janvier 2001), les cantons prévoyaient des dispositions spécifiques pour alléger la taxation des contribuables cessant leur activité lucrative, dégageant à cette occasion un bénéfice de liquidation.
De fait, le plus souvent les bénéfices de liquidation correspondait à la vente d’un goodwill (clientèle) ou d’un avantage lié à la situation du commerce liquidé.
A titre d’exemple, l’entrepreneur individuel qui avait constitué tout au long de sa vie une certaine clientèle pouvait la remettre à son successeur et obtenir un dédommagement pour toute l’activité de constitution de cette clientèle, opérée tout au long de sa vie active.
Ainsi dans le passé l’on prévoyait des dispositions telles celles que connaissait Genève, qui taxait à un taux moindre les bénéfices de liquidation, voire une absence de taxation puisque le bénéfice de liquidation d’une entreprise ayant durée plus de 15 ans était-il taxé au taux de 0.
La loi d’harmonisation des impôts directs a enterré toutes les dispositions éparses des divers cantons et a mentionné que tous les bénéfices, quels qu’ils soient, devaient être taxés.
Rectification opportune
Depuis lors, l’on a eu cesse de rectifier de façon harmonieuse cette taxation outrancière des contribuables cessant d’exercer leur activité lucrative indépendante.
C’est ainsi que la seconde réforme sur l’imposition des entreprises a prévu des dispositions qui s’appliquent désormais depuis le 1er janvier 2011 dans tous les cantons suisses et au niveau fédéral.
Il est prévu que le total des réserves latentes réalisées au cours des deux derniers exercices commerciaux par un contribuable âgé de plus de 55 ans et qui cesse définitivement d’exercer son activité lucrative indépendante (ou s’il est incapable de poursuivre cette activité pour cause d’invalidité) est imposé séparément des autres revenus.
De ce bénéfice de liquidation, l’on peut déduire les rachats effectués à sa caisse de pension, mais qu’en est-il des contribuables:
- ne pouvant pas racheter dans leur caisse de pension
- ne disposant pas d’une caisse de pension
- n’ont rien fait (c’est leur propre entreprise qui devait assurer leur « prévoyance »)
- ce sont tournés vers la constitution d’une épargne au travers de la prévoyance individuelle liée (pilier 3a).
C’est là qu’apparaît la notion de « rachat fictif » qui correspond de fait à une dépense non occasionnée, ni même imaginée par le contribuable lors de sa vie active.
Cas exemplaire
Les dispositions liées à la taxation des bénéfices de liquidation depuis le 1er janvier 2011 et l’application de l’ordonnance sur l’imposition de tels bénéfices de liquidation sont quelque peu techniques, raison pour laquelle l’on schématisera la réflexion et les avantages que les contribuables peuvent en tirer par l’exemple suivant:
- Un entrepreneur indépendant vend son affaire et réalise un bénéfice de liquidation de CHF 300’000.-
- Il est marié et âgé de 60 ans.
- Il réalisait un revenu annuel de CHF 150’000.-
- Il dispose uniquement d’un pilier 3a qui totalise CHF 220’000.-, dont CHF 60’000.- correspondent au « petit pilier 3a » que tout salarié peut constituer.
Sa taxation se calculera comme suit:
- Le revenu annuel de CHF 150’000.- est taxé dans le cadre de sa taxation ordinaire en addition avec les autres revenus et bénéficie des déductions habituelles.
- Le bénéfice de liquidation de CHF 300’000.- va être imposé séparément, c’est-à-dire qu’il ne s’additionnera pas aux CHF 150’000.- de revenu, mais fera l’objet d’une taxation séparée.
Toutefois, un rachat dans sa caisse de pension pourrait être déductible de ce bénéfice, mais comme notre contribuable ne dispose pas d’une prévoyance professionnelle, il ne peut effectuer un tel rachat.
Dans une telle occurrence, il est prévu « une explosion » de son bénéfice de liquidation en différents montants qui feront l’objet de taux d’imposition calculés différemment.
C’est là qu’intervient la notion de rachat fictif, qui va être déduit du bénéfice de liquidation pour faire l’objet d’une taxation non pas au taux habituel, mais au 1/5e des taux (IFD et canton de Genève) figurant dans les barèmes.
Il convient donc de calculer le rachat fictif dont dispose notre contribuable, pour cela il suffit de prendre le revenu moyen des 5 dernières années (CHF 150’000.-) et de le multiplier par le taux de 15% (soit CHF 22’500.-); montant qui sera multiplié par le nombre d’années entre l’âge de 25 ans et l’âge au moment de la liquidation, soit en l’occurrence 35; le montant du rachat fictif avant réduction s’élève donc à CHF 22’500.- x 35, soit CHF 787’500.-, lequel va être réduit des avoirs de vieillesse de la prévoyance professionnelle (in casu 0) et de la prévoyance élargie privée (soit CHF 220’000.- moins CHF 60’000.-) qui nous conduit à un rachat fictif de CHF 627’500.-
Sachant que le montant du rachat fictif ne doit pas dépasser le montant du bénéfice de liquidation, celui-ci sera ramené de CHF 627’500.- à CHF 300’000.- et permettra donc une absence de taxation du bénéfice de liquidation selon les normes ordinaires avec ou sans réduction d’assiette, et permettra de bénéficier d’une taxation sur le montant du rachat fictif au 1/5e des taux prévus dans les barèmes.
En d’autres termes:
- Si notre contribuable avait obtenu un bénéfice de liquidation n’entrant pas dans la définition stricte du bénéfice de liquidation (par exemple parce qu’il l’a obtenu avant l’âge de 55 ans), ses CHF 300’000.- auraient été ajoutés à ses autres revenus et taxés au taux global, soit à une taxation de l’ordre de 40% d’impôt ICC et IFD confondus, soit CHF 120’000.- d’impôts.
- Soit le contribuable pouvait disposer d’un rachat fictif et alors son imposition s’élèverait à CHF 300’000.- au 1/5e des barèmes prévus (1/5e du barème fédéral de 9% et du barème cantonal de 22% applicable à un revenu de CHF 300’000.-), correspondant donc à 31% / 5, soit 6,2% ce qui conditionnerait un impôt de CHF 18’600.- pour CHF 300’000.- de bénéfice de liquidation assimilé à un rachat fictif.
- Soit le contribuable ne disposerait d’aucun rachat fictif (compensé par sa prévoyance professionnelle par exemple) et alors son bénéfice de liquidation de CHF 300’000.- serait taxé séparément, mais non pas au taux de CHF 300’000.- (ni au 1/5e des taux), mais au taux afférent à un revenu de CHF 60’000.- (soit 1/5e du bénéfice de liquidation). En l’espèce, le montant de CHF 300’000.- de bénéfice de liquidation non couvert par un rachat fictif aurait induit une imposition de CHF 27’000.- dès lors que l’impôt cantonal aurait été de 7% au lieu de 22%, et l’impôt fédéral de 2% (minimum légal).
Conclusion
Des dispositions bienvenues sont entrées en vigueur pour la taxation des contribuables indépendants cessant leur activité lucrative, mais l’important est de rappeler aux contribuables cessant définitivement leur activité lucrative indépendante qu’une dépense non effectuée, ni même envisagée pendant leur activité lucrative peut leur permettre une notable réduction d’impôt.
Publié le 18 mars 2013